Les médiatrices en santé facilitent la découverte d’activités de prévention. Ici Marie-Christine Caneval dans le potager de la MSP avec des usagers © MSP Quartiers Sud.
L'article signé par Éléonore Varini, publié dans le magazine de l'exercice coordonné CONCOURS Pluripro .
Installée au coeur d’un quartier prioritaire de la politique de la ville souffrant d’une pénurie de professionnels de santé (8 médecins généralistes pour 30 000 habitants), la MSP multisite des Quartiers Sud du Mans (Sarthe) s’est saisie de l’article 51 dès 2020 pour mettre au point Pascia’Mans (pour "Parcours accompagné de santé coordonné innovant adapté pour les patients précaires à faible niveau de littératie des quartiers Sud du Mans"). Cette expérimentation mobilise l’ensemble des professionnels de premier recours (médecins généralistes, psychologues, infirmières, pharmaciens, orthophoniste, diététicienne et pédicure-podologue) et s’adresse aux patients en situation de précarité et, plus spécifiquement sur ce territoire, à la population migrante et même aux mineurs isolés étrangers. "Il s’agit de personnes qui, sans appui, ne savent pas – voire n’osent pas – accéder aux soins et à leurs droits sociaux", explique Marie-Ange Lecomte, médecin généraliste, gérante de la Sisa Quartiers Sud du Mans et cheffe de projet Pascia’Mans.
Marie-Ange Lecomte,
médecin généraliste
© M.A.L.
Avant la mise en place de l’expérimentation, l’équipe se trouvait régulièrement dépourvue devant des cas tels que ce jeune Afghan isolé ayant besoin d’un vaccin : "Même s’il se rend chez le médecin, il n’a pas de carnet de santé, il n’ira pas forcément à la pharmacie chercher son produit, n’aura pas les moyens de le conserver au frais… il ignore tout du système de santé français et a besoin d’explications… et si possible dans sa langue !, détaille Marie-Ange Lecomte. Nous avions clairement besoin d’aide pour mieux accompagner ces patients et les rendre plus autonomes. C’est pourquoi l’innovation de notre article 51 réside dans l’intégration de médiateurs en santé salariés qui sont dans une démarche d’'aller vers', ainsi que dans le recrutement d’une coordinatrice de parcours de santé et au recours à un service d’interprétariat."
Lancé le 1er juin 2021, Pascia’Mans avait intégré 368 patients dans le parcours au 1er juin 2022. "Notre objectif était de 250 patients 'précaires' et 100 patients allophones pour la première année, on est dans les clous", se félicite la cheffe de projet. Au 15 octobre, 536 patients avaient été inclus. Sur les cinq années d’expérimentation, 1 400 personnes devraient bénéficier de cet accompagnement – "sachant que les patients restent entre un et trois ans dans le dispositif".
Le parcours de santé commence par un adressage. Une partie des patients Pascia’Mans sont "recrutés" parmi la patientèle de la MSP, mais beaucoup sont adressés par des structures d’hébergement, des centres d’accueil pour demandeurs d’asile ou l’Aide sociale à l’enfance. Si les critères d’inclusion correspondent, la coordinatrice, Lydia Hariot, fait signer une fiche de consentement au patient pour entrer dans l’expérimentation, et une fiche de liaison s’il est adressé par une structure tierce. Elle collecte les informations pour la constitution du dossier, notamment la langue parlée. C’est elle qui se charge de fixer les premiers rendez-vous, c’est-à-dire le bilan de santé avec un médecin généraliste. Puis elle fait le choix d’un médiateur en santé et l’inclut dans le processus.
Le bilan de santé s’étale sur une durée de deux mois. Inspiré de l’instruction ministérielle du "rendez-vous santé des primo-arrivants", il comprend un examen clinique avec prescription d’examens biologiques et radiologiques et de vaccins, suivi de consultations avec le médecin généraliste prescripteur pour analyser ces résultats.
Vient alors l’étape du projet personnalisé de santé (PPS), encadré par des protocoles et mis au point au cours de réunions interprofessionnelles. "Chaque personne accompagnée a des attentes et des besoins singuliers, que les professionnels s’emploient à intégrer dans ce PPS. C’est une coconstruction dynamique entre la personne aidée par les médiateurs en santé et les professionnels", précise Marie-Ange Lecomte.
L’étape 3 est la mise en oeuvre du parcours accompagné de santé (PAS), qui comprend des consultations complexes et longues (dénommées "CS MG Pascia") avec le médecin généraliste, ainsi que des rendez-vous avec différents professionnels de santé dans ou hors la MSP (pneumologues, hépatologues…). En outre, le patient peut être soutenu par une prise en charge psychologique et participer à des actions de prévention. Il peut, par exemple, se voir proposer une aide à l’arrêt du tabac sous la forme de six entretiens pharmaceutiques de soutien au sevrage réalisés par les pharmaciens membres de la MSP.
Les infirmières, quant à elles, interviennent dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient souffrant d’une pathologie chronique au tout début de la mise en route du PPS et à chaque changement de traitement ou en cas de difficulté d’observance décelée lors du bilan de médication. À chaque étape de son parcours, l’usager bénéficie de l’appui du médiateur en santé. Ce professionnel peut également accompagner le patient dans son parcours de santé en dehors de la MSP, que ce soit pour des prises de rendez-vous ou même chez les professionnels de santé de deuxième recours ou à la découverte d’activités de prévention ou de démarches administratives.
La maison de santé des Quartiers Sud du Mans a signé un partenariat avec ISM Interprétariat, qui propose un interprétariat téléphonique dans plus de quarante langues. "On a affaire à des petites communautés, et le téléphone permet de garantir l’anonymat. L’article 51 nous finance un forfait annuel d’heures de recours à ce service", précise la Dre Lecomte.
Un recueil d’informations est réalisé par les différents professionnels tout au long de l’accompagnement, dans le respect de la personne, du secret partagé et selon le règlement général sur la protection des données (RGPD). Il est intégré dans le système d’information, partagé, inclus dans le logiciel métier de la MSP.
La MSP a déterminé le profil des premiers patients Pascia’Mans. "Il s’agit d’hommes et de femmes de tous les âges dont le facteur commun est une grande précarité. Les jeunes garçons isolés étrangers représentent 10 % des effectifs, détaille Lydia Hariot. La pathologie que l’on retrouve le plus fréquemment est le syndrome de stress post-traumatique. Il y aussi des addictions, des problèmes d’obésité et de diabète et, pour les personnes issues de l’immigration, des tuberculoses latentes, des hépatites B, des bilharzioses, des parasitoses urinaires." Des maladies que les médecins généralistes du Mans ne rencontrent pas habituellement. "Cela nous oblige à modifier nos pratiques médicales", admet Marie-Ange Lecomte.
Stéphanie Gandil,
psychologue © S.G.
Globalement, ces patients ne comprennent pas le système de santé et souffrent d’un retard dans l’ouverture de leurs droits (AME et CSS notamment). Ce sont des personnes pour qui l’anticipation et la prise de rendez-vous sont difficiles. Elles n’ont pas de médecin traitant, et la barrière de la langue les empêche souvent de téléphoner, voire même d’utiliser un interphone. Elles sont encore moins capables de déchiffrer des prescriptions. "La plupart n’ont jamais vu de psychologue et parfois ne savent même pas de quoi il s’agit", ajoute Stéphanie Gandil, psychologue spécialisée en traumatologie, qui reçoit les patients orientés par ordonnance médicale par les médecins de la MSP – dans la limite de vingt séances. "Lors du premier bilan, j’évalue leur capacité à pouvoir entrer en affiliation avec moi et je tente d’expliquer mon rôle. Mon objectif est de travailler les traumas pour qu’ils puissent mieux vivre avec : ils souffrent fréquemment de troubles de la mémoire, d’une incapacité à se projeter, de problèmes somatiques comme les maux de ventre et les maux de tête, et ont surtout une dissociation émotionnelle, c’est-à-dire qu’ils ne sont plus capables de ressentir corporellement ou psychiquement une émotion. Je suis là pour leur expliquer que ces symptômes sont liés à leur vécu et que l’on peut travailler ensemble pour les alléger."
Les interprètes traduisent en direct tout ce que dit le patient. Si certains professionnels de santé avaient un peu d’appréhension face à ce dispositif, ils font finalement vite abstraction. "Je trouve ces interprètes très pros, constate Stéphanie Gandil. Et puis le temps de latence pour la traduction me permet une double lecture en tant que psychologue : quand le patient s’exprime, je ne comprends pas ce qu’il dit, mais j’analyse son regard, ses mimiques. Puis, quand le traducteur parle, le patient prend le temps de se connecter à ce qu’il vient de dire."
Marie-Christine Caneval,
médiatrice en santé
© M.C.C.
Dans sa pratique quotidienne, la psychologue constate un nombre important de rendez-vous manqués. C’est beaucoup moins le cas avec Pascia’Mans, puisqu’un médiateur en santé suit et motive le patient tout au long de son parcours. "Le fait de faire du lien est très contenant, confirme Marie-Christine Caneval, médiatrice en santé. Je ne les lâche jamais – je les accompagne à des rendez-vous, je fais tout pour éviter les ruptures de soins, pour aider à trouver un logement… Je les suis même s’ils changent de ville, et ils ont tous mon numéro de portable professionnel… Même si, au final, on a 15 % de 'perdus de vue', le fait que toute l’équipe soit mobilisée autour d’eux est un axe de motivation."
Puis "les patients se prennent de plus en plus en main, deviennent autonomes, ratent de moins en moins de rendez-vous, posent des questions sur les ordonnances, les vaccins…", constatent les professionnels de santé de la MSP. Stéphanie Gandil renchérit : “Ils reprennent vite confiance en eux, ils arrivent à retrouver la force d’être acteurs de leur vie, se mettent à refaire des démarches pour leurs droits par eux-mêmes, à chercher du travail. Ils se mettent à croire qu’ils peuvent y arriver, et ça marche !”
Le Fonds pour l’innovation du système de santé (Fiss) a débloqué la somme de 2 684 000 euros pour cette expérimentation auxquels s’ajoutent 496 000 euros du fonds d’intervention régional (FIR). Cela se traduit par un forfait en première année de 904 euros pour les précaires et de 1 058 euros pour les allophones, puis de 588 euros et 742 euros les années suivantes.
Les dérogations aux règles de financement de droit commun concernent :
– la rémunération de consultations pluriprofessionnelles (médecins, infirmières, pharmaciens) ;
– la rémunération de consultations longues pour les médecins généralistes "CS MG Pascia" ;
– la rémunération des actes des pharmaciens (bilan de médication, sevrage tabagique) ;
– la rémunération des actes des infirmières (prises des constantes, éducation thérapeutique quotidienne, soins de soutien aux grands précaires) ;
– la prise en charge d’actes de psychologue ;
– la rémunération au forfait de ces prestations.
Nous estimons que notre projet permettra de faire de économies substantielles en termes de santé publique
Les dérogations aux règles organisationnelles de droit commun concernent :
– la délégation de tâches aux pharmaciens : sevrage tabagique, bilan de médication ;
– la délégation de tâches aux infirmières : surveillance des constantes, ETP, accompagnement à domicile ;
– la rémunération des professionnels de santé par la Sisa pour des actes de soins.
En favorisant l’autonomisation des usagers et l’accès à la prise en charge de droit commun, en effectuant les dépistages systématiques d’arrivée des migrants, en permettant l’accès à des soins psychologiques pour des personnes qui n’ont pas les moyens financiers d’y accéder… "Nous estimons que notre projet permettra de faire de économies substantielles en termes de santé publique puisqu’il aura à la fois des impacts directs – baisse des admissions évitables aux urgences, baisse du mésusage ou de la surconsommation des produits de santé, baisse de la répétition des examens… – et des impacts indirects – baisse du retard des diagnostics, ayant pour conséquence une baisse de la gravité des cas et in fine baisse des coûts de soins, prévention renforcée, hausse de l’inclusion sociale et donc possiblement du chômage, baisse du nomadisme médical…", conclut Marie-Ange Lecomte.
Quand la psychologue de la MSP se trouve face à des personnes polytraumatisées incapables de verbaliser, elle peut leur proposer de travailler corporellement les traumas via la psychoboxe, une technique à laquelle elle s’est spécifiquement formée. "Il s’agit de pratiquer un assaut d’une minute trente avec un psychoboxeur. La force des coups est très fortement réduite, pour atteindre un niveau de sécurité optimale et permettre le travail sur soi", précise Stéphanie Gandil. L’idée, c’est de remettre en scène le rapport à la violence et d’analyser comment le patient réagit. "Après le combat, je lui demande ce qu’il a ressenti. On relie le corps à l’émotion et à la parole et on redonne des ressources corporelles pour se tenir debout." Elle raconte le cas d’un mineur étranger qui ne parlait pas du tout et qui s’est montré plus à l’aise dans cet exercice après la boxe. “Cela a permis d’enlever la posture du psychologue qui est sachant.”